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Pierre de Coubertin, le penseur de l’olympisme, s’est toujours détourné du tableau des médailles, n’y voyant que vanités des peuples et des athlètes. Et si le Comité international olympique (CIO) livre à ce jour seulement des statistiques, c’est pour éviter que des Etats ou des sportifs ne s’approprient des victoires imméritées. Mais alors pourquoi, et pour qui, un classement des délégations ? Et lequel d’ailleurs ? Ne devrait-on pas s’intéresser aux seuls vainqueurs, comme dans l’Antiquité grecque ? Ou, à l’inverse, intégrer les places du pied du podium ? D’autres vérités que sportives se nicheraient-elles dans la hiérarchie sportive des nations ?
A Athènes en 1896 et à Paris en 1900, on avait seulement attribué l’argent et le bronze au vainqueur et à son vaincu en vertu de la tradition du défi lancé au champion de l’édition précédente par son meilleur « challenger ». Ces médailles n’avaient qu’une valeur de record au sens de l’enregistrement des résultats. Pour les sportsmen, le « must » était de remettre en jeu son prix l’année suivante. Est-ce bien un hasard si la médaille suprême est apparue à Saint-Louis en 1904, au pays des chercheurs d’or et des self-made-men ?
Lors des Jeux d’Athènes en 1896, la presse américaine avait proclamé que les triomphes de ses athlètes démontraient la supériorité de son modèle économique, social et politique. Et à Londres en 1908, elle en appelait au jugement divin du sport pour départager les deux impérialismes, américain et britannique. L’escalade de violences qui en résulta conduisit l’évêque de Pennsylvanie, Mgr Ethelbert Talbot, à rappeler que « l’essentiel c’est de participer ». Pour la première fois, les hymnes nationaux furent joués et les maillots nationaux arborés. Les stades devinrent les baromètres des patriotismes de bon aloi comme des nationalismes agressifs.
Autant les sélectionnés d’avant 1914 pouvaient bénéficier de souscriptions publiques pour compenser les frais engagés et le manque à gagner, autant les régimes fasciste et nazi ont innové en pratiquant des politiques publiques d’aide à la performance. Les démocraties y ont songé à leur tour lorsque l’équipe du IIIe Reich devança nettement la Team USA à Berlin en 1936. Une telle rétrogradation, une première depuis 1912, ne devait se reproduire que vingt ans plus tard en Australie, à Melbourne, face à l’Union soviétique.
La guerre froide sportive fut aussi une bataille des chiffres. Tandis que la presse européenne focalisait sur les médailles d’or et les Américains sur le nombre total de médailles, les Soviétiques réclamèrent, lors de leur première participation à Helsinki en 1952, que l’on comptabilise les six meilleurs qualifiés de chaque épreuve. Mais s’étant hissée sur la première marche du podium – au nombre total de médailles – de 1956 à 1992, à Barcelone (hormis à Tokyo, en 1964, et à Mexico, en 1968), l’URSS n’opposa plus cette vision de la réussite collective à la culture américaine du seul « winner ».
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